Il y a une dizaine d’années, la République du Congo s’est engagée dans une ambitieuse vision d’émergence économique et sociale à l’horizon 2025. Ce projet, centré sur la diversification des ressources, le développement des infrastructures et la valorisation des talents locaux,
résonne comme un écho des dynamiques qui animent la musique urbaine du pays. Ce secteur culturel en plein essor témoigne de la résilience congolaise face aux crises économiques et sanitaires, tout en étant une source inexploitée de transformation nationale.
Cependant, en raison des crises économiques et financières survenues entre 2014 et 2021, exacerbées par la pandémie de COVID-19, le délai initial de ce programme a été repoussé à 2030. Malgré ces défis, la musique urbaine du Congo-Brazzaville se positionne comme un levier essentiel de développement économique et culturel, crucial pour atteindre les objectifs d’émergence.
La musique urbaine : une richesse culturelle et économique à valoriser
Dans un pays où le pétrole a longtemps dominé l’économie, l’émergence d’une industrie musicale urbaine représente une opportunité de diversification. Rap, slam, afrobeat, ndombolo et autres genres trouvent un écho auprès de la jeunesse, moteur du changement. Des artistes comme Wayé, Jessy B, Paterne Maestro, Tidiane Mario, Diesel Gucci, Mwasi Moyindo, Nestelia Forest, Makhalba Malechek et Freddy Massamba, parmi d’autres, captent une audience internationale, diffusant ainsi une image positive du Congo.
Le Premier ministre, Anatole Collinet Makosso, avait déclaré en juillet 2023, dans une interview accordée à Marie-Jeanne Serbin-Thomas du magazine Brune:
« Le pari sera tenu parce que nous allons récupérer les cinq à six ans perdus par les crises économique, financière, puis sanitaire. S’il y a un différé, l’émergence sera constatée en 2030 ou 2031. »
La musique urbaine : Un moteur économique
Parmi les axes prioritaires du Plan National de développement 2022-2026 figurent le tourisme, l’agriculture et les partenariats public-privé, et la musique urbaine s’impose comme une voix essentielle pour promouvoir l’image du Congo à l’international et renforcer la cohésion nationale.
Cette tribune de Niamba Malafi alias monsieur culturel, est enrichie par les témoignages d’artistes et d’acteurs de l’industrie musicale du Congo, et explore comment ce secteur contribue à la dynamique d’émergence nationale et aux défis qu’il rencontre.
Pour beaucoup d’artistes, la musique urbaine n’est pas seulement un art, mais une industrie capable de générer des revenus, des emplois et une reconnaissance internationale pour le Congo.
Lauréate du prestigieux Prix Découvertes RFI 2023, Jessy B s’affirme comme l’une des voix les plus prometteuses de la scène musicale congolaise.
Elle souligne avec passion le rôle crucial que joue la musique dans la promotion de la culture congolaise sur la scène internationale.
Pour Jessy B, la musique dépasse le simple divertissement :
« La richesse et la diversité des rythmes congolais, ainsi que les messages véhiculés par les artistes que nous sommes, peuvent réellement toucher un large public et promouvoir la culture congolaise à l’international. » Ce pouvoir de la musique, dit-elle, n’est pas seulement artistique, mais également diplomatique, en s’imposant comme un levier de soft power pour le Congo-Brazzaville.

Par ailleurs, Jessy B insiste sur l’importance de soutenir les artistes locaux afin qu’ils puissent porter haut les couleurs du pays :
« Si les artistes sont soutenus, nous aurons effectivement plus de capacités à mieux représenter notre pays à travers nos chansons. » Son expérience au Prix Découvertes RFI 2023 illustre parfaitement ce propos. Ce prix lui a permis de voyager à travers l’Afrique et l’Europe, portant fièrement le drapeau du Congo et partageant sa culture avec des publics variés.
Pour la rappeuse, la musique urbaine a également un rôle clé à jouer dans le renforcement de l’identité nationale et de la cohésion sociale.
« La musique crée des liens et contribue au tourisme culturel au Congo, tout en renforçant notre identité. » En s’appuyant sur le talent des artistes et la richesse des sonorités locales, elle estime que le Congo peut se positionner comme un acteur incontournable sur la scène culturelle mondiale.
Jessy B incarne ainsi une nouvelle génération d’artistes, conscients de leur rôle d’ambassadeurs culturels, déterminés à faire rayonner le Congo-Brazzaville à travers leurs créations. Une vision qu’elle porte avec fierté et qui invite à une réflexion sur l’importance de soutenir la culture pour mieux valoriser l’image du pays à l’international.
Pour la slameuse Mwasi Moyindo, la musique est bien plus qu’un simple art, elle constitue l’image d’un pays. Une musique en bonne santé est une industrie culturelle qui tourne et grandit. Elle génère de nombreuses activités et emplois dans le secteur : réalisation, beatmaking, productions. »
Au-delà des impacts directs, Mwassi voit dans la musique une vitrine pour son pays :
« Elle met en lumière la beauté d’un pays. Nous avons un beau pays, qui pourrait devenir bien plus touristique qu’il ne l’est. »
Cependant, elle appelle à des actions concrètes pour soutenir cette industrie : « Studios d’enregistrement, salles de spectacle, respect aux réparations des droits d’auteur, productions continues… Sans les moyens, impossible de faire le bon taf. »

Mwassi Moyindo souligne également le rôle essentiel des artistes dans la défense et la promotion des traditions et des identités culturelles : « Quand un artiste bénéficie des conditions nécessaires pour exposer son art, il défend indéniablement son identité culturelle, ses traditions, les musicalités nationales. »
Elle note que, malgré les moyens limités, les artistes congolais continuent de briller sur la scène internationale. « Les couleurs musicales ramenées par les artistes de la nouvelle génération le prouvent. Mais pour s’épanouir et s’exporter pleinement, nous avons besoin de beaucoup de soutien. »
A travers ses mots, Mwasi Moyindo incarne cette volonté de voir la République du Congo occuper la place qu’elle mérite sur l’échiquier culturel mondial, grâce à une musique forte et soutenue. Malgré les défis financiers que raconte l’émergence du pays, les musiciens congolais innovent. Ils investissent dans des contenus de qualité, développent des marques personnelles et s’associent à des entreprises locales pour amplifier leur impact.
« Pendant la COVID-19, la majorité des lieux de spectacles et des espaces culturels étaient fermés. Ces espaces, où les artistes pouvaient créer, exposer ou vendre leurs produits, étaient inaccessibles. Ce que les artistes du monde entier ont vécu, les artistes congolais l’ont ressenti de manière encore plus aiguë, à cause d’un manque d’infrastructures et d’une structuration insuffisante du secteur culturel, » explique Beril Nzila, label manager RDC-Republique du Congo-Gabon chez Believe France.
Il ajoute que la crise économique, combinée à la pandémie, a aussi affecté les institutions culturelles :
« Les quelques structures capables de subventionner la création ou la production de spectacles ont vu leurs moyens diminuer, aggravant une situation déjà fragile. »
Malgré ces défis, Béril N’zila met en lumière la capacité des artistes congolais à se réinventer :
« Le secteur a su trouver des opportunités pour continuer à exister. On observe aujourd’hui une montée en puissance des cultures urbaines au Congo, avec l’émergence de genres musicaux comme l’afrombokalisation, popularisée par Afara Tsena. Cet artiste, qui a su se démarquer malgré la crise, représente désormais fièrement la République du Congo sur la scène internationale. »

Il mentionne également Mariusca Moukengue, qui, grâce à son festival, a permis à la scène slam congolaise d’être découverte par un public international.
« Des artistes comme Tidiane, Diesel, Nix Ozay, Fanie Fayar et bien d’autres continuent de travailler et de redéfinir leur place dans le paysage culturel. Et il ne faut pas oublier le succès mondial de ‘Bokoko’ de Roga Roga, qui a offert une nouvelle perspective sur la musique urbaine congolaise, renforcée par l’inscription de la rumba congolaise au patrimoine immatériel de l’humanité de L’UNESCO. »
Pour que l’émergence musicale reflète pleinement celle du pays, il faut davantage d’infrastructures, de financement et de reconnaissance. Les artistes brazzavillois sont prêts à porter ce flambeau, mais ils appellent à une collaboration plus structurée et stratégique.
Pour Wayé, lauréat du Prix RFI Découvertes 2020 « la musique urbaine est une sacrée aubaine pour la jeunesse congolaise aujourd’hui. À coup de stratégies, il est possible pour chacun de tirer son épingle du jeu. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, c’est encore plus probable d’exploser. »
Il ajoute :
« Avec beaucoup d’organisation, les artistes sont capables de changer non seulement leur vie, mais aussi celle de leur entourage, créer de l’emploi et donc participer à l’amélioration du climat économique. »
Tous les acteurs, du gouvernement au secteur privé, doivent jouer leur rôle pour structurer une industrie musicale durable.
Dans le cadre de l’émergence du Congo, Paterne Maestro met en lumière les enjeux majeurs de la culture, appelant à des solutions concrètes pour renforcer la place des artistes dans l’économie nationale.
Interrogé sur la question des droits d’auteur, Paterne Maestro a souligné l’ampleur du problème, non seulement au Congo, mais à l’échelle mondiale.
« La gestion des droits d’auteur est une épine bien enfouie et pas qu’au Congo. Nous espérons voir un changement un jour, mais nous ne sommes pas utopistes. » ajoute son manager Félix Bakalé.
Pour Paterne et son équipe, une réforme dans ce domaine nécessite des efforts considérables du gouvernement.
« Si le gouvernement s’engage, cela demandera de la technicité, de l’innovation et l’utilisation des nouvelles technologies pour une répartition équitable des redevances. »
L’artiste a également évoqué les leviers économiques essentiels pour son secteur. « Les prestations scéniques, les partenariats commerciaux et le merchandising sont des sources directes qui favorisent l’économie de notre industrie culturelle. »
Pour Makhalba Malechek,le problème principal dans l’émergence de l’industrie musicale au Congo réside dans l’absence de producteurs. « Notre musique souffre d’un déficit d’investisseurs, que je nomme les producteurs. Produire un projet artistique, c’est investir de l’argent dans l’objectif d’un retour sur investissement positif à court ou long terme. »
Rééduquer les mélomanes
Selon lui, les artistes ont un rôle clé à jouer pour attirer ces investisseurs. « Ils doivent renforcer l’aspect commercial, c’est-à-dire rééduquer les mélomanes à consommer l’art en payant. » Il propose deux pistes concrètes :
1. Favoriser les plateformes légales
« Les sorties musicales doivent être exclusives sur des plateformes légales de vente pour habituer les mélomanes à acheter de la musique. »
2. Renforcer les contrôles d’accès aux spectacles
« Il faut réserver les spectacles uniquement aux mélomanes qui achètent des pass ou des billets, ce qui attirera les producteurs de spectacles. »
Makhalba Malechek reconnaît que ces mesures peuvent être difficiles à accepter pour certains artistes. « Bien que cela touche directement à l’image de notoriété, beaucoup préfèrent offrir leur musique et leurs concerts gratuitement pour remplir les salles et briller sur les réseaux sociaux. Mais cette pratique contribue à la maladie de notre industrie. » Il appelle à un effort collectif : « Nous devons accepter ce sacrifice si nous voulons rivaliser avec le reste du continent africain. »
l’artiste Makhalba Malechek
Le rappeur conclut son intervention par un message fort à destination des autorités du Congo. « Levez la main sur les droits des artistes, s’il vous plaît. Si vous voulez réellement faire évoluer la culture de notre pays, c’est une priorité. Faites venir des labels et des maisons d’édition pour garantir une bonne gestion des droits d’auteur. »
Avec ces propositions, Makhalba Malechek met en lumière les leviers nécessaires pour construire une industrie musicale durable et compétitive.
Beril Nzila, revient sur la manière dont les plateformes numériques peuvent accroître les revenus des artistes urbains dans la république du Congo grâce à une monétisation équitable.
Pour le label manager de Believe, les crises financières, économiques et sanitaires rencontrées entre 2014-2012 ont été une épreuve, mais aussi une opportunité de transformation pour l’industrie musicale au Congo. « En combinant éducation, infrastructures et soutien politique, les artistes congolais pourront tirer pleinement parti des plateformes numériques et continuer de porter haut les couleurs de la culture congolaise sur la scène internationale. »
Il insiste sur trois axes essentiels pour garantir une monétisation équitable des œuvres des artistes congolais :
1. L’éducation digitale et culturelle
« Il est essentiel de former les consommateurs et les acteurs culturels sur l’utilisation des plateformes numériques comme YouTube, Spotify et TikTok. Les artistes doivent également optimiser leur présence en ligne, avec des comptes certifiés et bien référencés, pour maximiser leur visibilité. »
2. L’accès aux infrastructures numériques
« L’accès à Internet reste un obstacle majeur. Nous avons besoin d’infrastructures solides pour permettre à un plus grand nombre de consommateurs de découvrir et d’acheter de la musique en ligne. Cela facilitera la monétisation. »
3. Un soutien politique accru
« Les politiques publiques doivent jouer un rôle actif. En Afrique francophone, nous n’avons qu’une seule régie de monétisation YouTube, située au Sénégal, alors que 70 % de la consommation musicale au Congo se fait via cette plateforme. Les gouvernements doivent encourager l’éducation digitale et développer des infrastructures locales pour améliorer cette situation. »
Une prise de conscience collective : artistes, décideurs, et entreprises doivent travailler main dans la main pour que la musique congolaise rayonne à l’échelle régionale et mondiale, tout en contribuant à l’essor du pays.
Le coordonnateur de la Fédération Congolaise des Cultures Urbaines et attaché aux arts au cabinet du ministre de l’industrie culturelle, touristique, artistique et des loisirs de la République du Congo, Jules Deslande TCHIMBAKALA-MAKAMBILA, il contribue avec précision aux enjeux soulevés par l’émergence du Congo Brazzaville et le rôle que peuvent jouer la société civile, les communautés et les entreprises pour faire de la musique urbaine un moteur de développement économique, culturel et diplomatique.
Pour Jules, la société civile a un rôle fondamental à jouer dans la professionnalisation des acteurs culturels :
« Pour être crédible auprès des gouvernements ou des décideurs, il faut avoir les compétences nécessaires. Malheureusement, beaucoup d’acteurs culturels se forment tardivement ou sont autodidactes, ce qui limite leur impact. »
Jules,societé civile
Il propose les étapes suivantes :
Favoriser la formation : Les membres de la société civile doivent s’armer de connaissances solides pour accompagner efficacement les artistes et monter des projets conformes aux standards internationaux.
Se structurer légalement : Beaucoup d’associations agissent de manière informelle. Se formaliser (par exemple, en s’enregistrant auprès de la préfecture) est indispensable pour accéder aux financements publics ou internationaux.
Prendre part aux initiatives internationales : Des plateformes comme Music in Africa proposent des appels à projets pour soutenir des tournées ou des événements régionaux. Cependant, ces opportunités nécessitent des structures solides et une comptabilité transparente.
Il souligne également l’importance de montrer des résultats concrets :
« Avoir des projets déjà réalisés qui ont porté leurs fruits est un gage de crédibilité pour solliciter un accompagnement ou des fonds. »
TCHIMBAKALA insiste sur la nécessité pour les artistes urbains de se positionner comme des partenaires fiables et attractifs pour les entreprises :
« Un artiste qui attire les entreprises est un artiste qui maîtrise son image, communique efficacement, et fédère une communauté solide, notamment sur les réseaux sociaux. »
Il propose plusieurs axes de travail :
Dynamisme artistique : Les musiciens doivent exceller sur scène, dans leur création, et dans leur interaction avec le public.
Professionnalisme : Ils doivent travailler avec des équipes compétentes pour gérer leur communication, leur image et leurs partenariats.
Engagement digital : Les réseaux sociaux sont un outil essentiel pour développer une audience et renforcer l’attractivité des artistes auprès des marques.
TCHIMBAKALA explique que les entreprises locales (notamment dans les secteurs des télécoms et des brasseries) sont déjà impliquées dans des campagnes associant leur image à celle d’artistes urbains. Cependant, ces investissements doivent être justifiés :
« Les entreprises ont besoin de résultats mesurables. Elles veulent s’assurer que les artistes peuvent générer un retour sur investissement, par exemple en attirant leurs fans vers les produits ou services proposés. »
Il appelle également à une ouverture vers les institutions internationales :
« Les artistes urbains doivent viser haut, en attirant l’attention d’organisations comme l’UNESCO ou les Nations Unies. Ces partenariats renforcent leur crédibilité et leur rayonnement. »
Le mouvement urbain brazzavillois se forge comme une Industrie résiliente face aux crises. La pandémie de COVID-19 et la crise économique ont certes ralenti le développement, mais elles ont aussi révélé la capacité d’adaptation des artistes urbains. Concerts virtuels, collaborations internationales et utilisation accrue des réseaux sociaux ont permis à la musique urbaine de se réinventer.
Aujourd’hui, nous voyons des talents locaux capables de remplir des stades à l’intérieur du pays et de faire parler du pays à l’international.
Cette résilience reflète celle du Congo-Brazzaville, où le Projet d’Émergence s’est adapté aux bouleversements mondiaux tout en restant fidèle à ses objectifs.
L’émergence du Congo ne sera pas seulement économique ; elle devra aussi être culturelle. La musique urbaine est un levier puissant pour renforcer le soft power du pays et attirer les regards du monde entier.
En intégrant pleinement cette industrie au Projet d’Émergence, le Congo-Brazzaville peut bâtir une économie inclusive et durable, où les talents artistiques deviennent des piliers de transformation nationale.
L’émergence de la musique urbaine est une symphonie en construction, à laquelle chaque acteur est invité à apporter sa note. Ensemble, faisons de cette vision une réalité où les rythmes urbains deviennent les battements d’un Congo debout.
Tribune de Niamba Malafi,
Auteur et observateur des dynamiques culturelles en Afrique centrale.
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