Il y a des œuvres qui semblent appartenir à tous. Chaque jour, on passe devant, on s’y attarde parfois, on en parle, et l’on se dit qu’elles sont là pour toujours, comme des repères silencieux dans la ville. C’est ce que j’ai longtemps cru à propos des sculptures qui jalonnent le boulevard Colonel Tshatshi, notamment Le Chasseur de l’artiste Mampuya. Je les pensais propriété de l’État, fruit d’une initiative du ministère de l’Urbanisme ou de la Culture pour embellir l’espace public.
Et pourtant, à ma grande surprise, ces œuvres appartiennent à un citoyen : Thomas Luhaka. Elles ne sont ni des biens publics, ni le résultat d’une commande officielle. Cette découverte m’a laissé partagé entre admiration et inquiétude. Admiration, car elle révèle l’engagement d’un individu pour l’art et la ville. Inquiétude, car elle soulève une question essentielle : si demain, leur propriétaire décidait de les retirer, que resterait-il de cet espace culturel que nous avons tous fini par intégrer à notre quotidien ?
Mais au-delà de cette interrogation, une autre question plus profonde surgit : comment expliquer qu’un projet présenté en grande pompe comme une exposition permanente sur un boulevard emblématique ait été, en réalité, une initiative privée ? L’inauguration de cette exposition en 2018 s’est déroulée sous le haut patronage de Thomas Luhaka, alors ministre des Infrastructures, Travaux Publics et Reconstruction (ITPR). Lui-même a présidé le vernissage, entouré d’officiels, de membres du gouvernement et du corps diplomatique. Un ministre inaugurant une exposition sur l’espace public donne naturellement l’impression d’une démarche institutionnelle. Pourtant, l’ensemble de ces œuvres appartient à la Fondation Thomas Luhaka et non à l’État.

Il est légitime de se demander pourquoi, à ce jour, aucune clarification officielle n’a été faite sur le statut de ces œuvres. Pourquoi une initiative artistique placée dans l’espace public n’a-t-elle pas été encadrée par une convention garantissant sa pérennité ? L’histoire de l’art urbain regorge de situations où des œuvres d’intérêt collectif sont soudainement soumises à des décisions privées, au détriment du bien commun.
Un appel à la conservation et à la pérennisation
Face à cette réalité, il est urgent que les autorités congolaises, en collaboration avec la Fondation Thomas Luhaka et l’Académie des Beaux-Arts, mettent en place un cadre légal assurant la conservation de ces œuvres. Il ne s’agit pas seulement de saluer l’initiative d’un mécène, mais de garantir que ces pièces essentielles du patrimoine urbain congolais restent accessibles aux générations futures.
Un dialogue entre le gouvernement, la Fondation Thomas Luhaka et l’Académie des Beaux-Arts permettrait d’explorer des solutions durables :
Une convention officielle qui reconnaîtrait ces œuvres comme patrimoine artistique de la ville, avec un statut clair.

Un fonds pour la conservation des sculptures exposées à l’air libre, afin de prévenir leur détérioration.
Un projet d’intégration au domaine public, où la ville pourrait acquérir ou sécuriser ces œuvres par des mécanismes juridiques adaptés.
Laisser à la seule volonté des propriétaires le sort d’œuvres aussi emblématiques, c’est risquer de voir s’effacer, du jour au lendemain, un pan de notre paysage urbain. Il est temps d’ouvrir le débat sur la gestion et la pérennisation de l’art public à Kinshasa. Une ville n’est pas seulement faite de béton et d’asphalte : elle vit aussi à travers ce qu’elle raconte.
Par Niamba Malafi
Auteur et observateur des dynamiques culturelles en Afrique centrale, artiste pluridisciplinaire, entrepreneur culturel et initiateur du Salon des Bruits des Villes Africaines.
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